• Billets d'humeur

    Je rassemblerai dans cette section tous les billets d'humeur et pensées qui me viendront...

    Enjoy, et n'hésitez pas à réagir !

  • Le match Djokovic-Nadal de cet après-midi avait des airs de finale avant la finale. Et de fait, l’affiche était alléchante. Voir le numéro 1 mondial affronter le septuple champion, avant la finale, c’était quelque chose.

    Et le match n’a pas déçu. On peut lire, sur Twitter, les réactions du monde entier : un match de titans, un math de deux bêtes sacrées du tennis, où le niveau a frôlé l’apothéose. Un vague souvenir d’une certaine demi-finale, à mon sens plus belle encore, m’est revenu : il s’agissait d’un certain Novak Djokovic qui affrontait le maestro, Roger Federer. C’était également en demi-finale de Roland Garros, en 2011. Et, là encore, Djokovic avait dû s’incliner devant un Federer au sommet de son art, stoppant net une série de 43 victoires d’affilée.

    Toutefois, j’ai ressenti une grande différence entre les deux demi-finales. Celle d’aujourd’hui était indéniablement un match exceptionnel. Mais il manquait d’âme, comme souvent lorsqu’un certain Espagnol est sur le court.

    On m’a souvent demandé pourquoi je ne soutenais pas Rafael Nadal. En réalité, je considère que « Rafa » est un très bon joueur, mais ça s’arrête là. Sur le court, il est un rouleau compresseur sans âme qui avance droit devant, au risque de trébucher. Son jeu est purement physique et, je trouve, monocorde. Il dispose d’un très bon coup droit, son coup de lasso lui confère un lift puissant qui met bien des adversaires en difficulté. Mais, si ce n’est pas là la seule corde à son arc, c’est sa principale.

    Car ce coup droit lifté lui donne une défense en acier. Nadal est probablement le plus grand défenseur sur le circuit. Et c’est précisément pourquoi le jeu de Nadal me semble insipide. Bien souvent, Nadal se terre. Il se contente de défendre – et aucun doute qu’il le fait extrêmement bien -. Mais c’est tout. Il défend, attend la faute de son adversaire. Par moment, l’impression que cela donne, c’est que Nadal est un mur. Quoi que vous fassiez, la balle reviendra vers vous.

    Lorsque vous ratez une balle qui a rebondi contre le mur, peut-on dire que le mur a gagné l’échange, ou plutôt que vous l’avez perdu ? La réponse à cette question est évidente. Et bien, vous savez donc maintenant pourquoi je n’aime pas le Nadal qui se déplace sur le court. Bien souvent, dans des matchs face à des adversaires valeureux, Nadal ne gagne pas : c’est Federer ou Djokovic qui perd.

    Certes, il arrive à Rafa de faire des points gagnants. Maintenant plus que par le passé. Certes, il parvient à construire un point.

    Mais Nadal n’a pas le génie. Il n’est qu’un très bon joueur de tennis, doté d’un physique incroyable. Et je suis intimement convaincu que ce sont ses seules qualités athlétiques qui  le maintiennent à un niveau élevé. Car, forcément, ses qualités lui permettent d’être un excellent défenseur. Et la boucle est bouclée.

    C’est triste, mais c’est ce que je pense : il n’y a pas grand-chose d’autre à dire sur le jeu de Nadal. Très peu de points gagnants réellement mémorables, des matchs parfaitement maîtrisés mais vides de toute émotion réelle (le fait de jouer pendant 5 heures et de s’imposer en 5 set suite à un suspense insoutenable ne suffit pas, j’en ai peur, à insuffler une réelle émotion dans un match…), une défense impassable, mais un jeu très pauvre, au final. Nadal reste bien souvent dans sa zone de confort, le fond de court, et pilonne ses adversaires en toute brutalité grâce à ses coups liftés.

    Et c’est précisément cette absence de variété dans son jeu et ses capacités athlétiques qui font de Nadal un as sur terre battue : cette surface, plus lente, sublime au maximum ses qualités défensives et lui laisse le temps de courir aux quatre coins de son terrain pour renvoyer toutes les balles. Sur terre battue, plus qu’ailleurs, Nadal est indébordable.

    Nadal va peut-être gagner Roland-Garros cette année encore (on aperçoit mal, en effet, les problèmes que pourraient lui poser David Ferrer, qui est pourtant un excellent joueur de terre battue, ou un Tsonga qui cherche souvent le duel physique, qu’il ne peut pas remporter contre Nadal). Mais il ne le devra nullement à un quelconque génie : il pourra remercier son physique athlétique.


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  • Texte publié sur Diffractions le 18 novembre 2012

     

    Alors que la désormais fameuse loi «  Mariage pour tous » déchaîne les passions et l’homophobie latente dans notre bonne vieille France, où Marianne voit se multiplier les manifestations aux slogans dégoulinant de pseudo droit naturel exigeant pour les enfants un père et une mère, sans quoi notre société, gangrénée par une bande de déséquilibrés éduqués par deux mères – ou pire, deux pères – court à sa perte, force est de constater que la sphère internet n’est pas épargnée. Les commentaires vont bon train, des articles se multiplient sur les blogs, tantôt pour clouer au pilori cette indigne loi, tantôt pour la glorifier.

    Mais c’est plus précisément un tweet de Jean Quatremer, qu’on ne présente plus, qui m’a poussé à rédiger cet article. Ce tweet, le voici :

    Tweet de Jean Quatremer

    Certes, le mariage homosexuel semble maintenant unanimement accepté en Belgique, et rares sont ceux qui disent se souvenir de manifestations bruyantes lorsque la loi est passée. Rappelons-nous : c’était il y a presque 10 ans, en 2003.

    Un accouchement difficile

    Le 30 janvier 2003, la Chambre des Représentant adoptait la « proposition de loi ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil », devenue « Loi ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil », promulguée le 13 février 2003. La procédure qui avait amené à son adoption avait été pour le moins bizarre.

    En réalité, cette loi est d’abord le projet du gouvernement. Anecdote ou pas, rappelons que le gouvernement de l’époque, le gouvernement Verhofstadt II, dit gouvernement arc-en-ciel, associait les socialistes, libéraux et écologistes. Qui en sont les grands absents ? Les Chrétiens-démocrates. A vous de voir ce qu’il faut en penser.

    Toujours est-il que le dossier est traité en Conseil des Ministres le 22 juin 2001. L’avis du Conseil d’État, obligatoire sur tout avant-projet de loi, est rendu le 12 novembre 2001. Nous y reviendrons en détail. Finalement, le Conseil des Ministres dépose le projet de loi à la Chambre le 30 janvier 2002. La Chambre ne l’inscrira pas à son ordre du jour pendant 5 mois. C’est pourquoi le Conseil des Ministres retire sa proposition, et ce sont des sénateurs de la majorité qui déposeront une proposition de loi, textuellement identique au projet du gouvernement, devant le Sénat.

    Comment expliquer une telle apathie de la Chambre ? Il faudrait creuser plus avant la question. Était-ce la délicatesse du dossier ? Y avait-il d’autres raisons ? J’ignore encore les raisons profondes de ces 5 mois d’inaction. Peut-être les découvrirai-je en épluchant les annales parlementaires. Mais, au fond, peu importe. Le fait qu’un dossier aussi important a été congelé pendant cinq mois est déjà fort significatif.

    Jusqu’au jour où plusieurs sénateurs, probablement sur demande du gouvernement, proposent le même texte au Sénat, tout en demandant de le voter relativement vite. Finalement, la loi ne sera votée que le 30 janvier 2003, et promulguée le 13 février de la même année. On constate donc, et c’est plutôt rassurant, que, loin de céder devant une urgence alléguée par le gouvernement, le Sénat a pris le temps de réfléchir et de se pencher sérieusement sur cette proposition.

    Elle est tout d’abord examinée en Commission Justice, de nombreux experts seront entendus. Les positions sont fermement défendues, chez les pros comme chez les contras. Tous reconnaissent l’importance de lutter contre les discriminations, mais certains regrettent que le terme « mariage » soit employé. Pour certains, le mot a une force symbolique trop puissante que pour être ouvert aux personnes de même sexe. Ceux-là préconisent plutôt, à l’instar d’un député CDH, « qu’un pacte de cohabitation légale impliquant de nouveaux droits aurait dû lui être préféré ».  En gros, le pacte de cohabitation légale, même aux effets renforcé, d’accord. Mais le mariage, non. Ce à quoi d’autres députés ont pu répondre qu’il « était important à cet égard de ne pas créer une institution propre, équivalente, mais pourvue d’une autre dénomination, qui eût été perçue comme une « institution-ghetto », brouillant singulièrement l’image du gouvernement, luttant fermement et avec détermination contre les discriminations ».

    Si les débats purent être vifs à la Chambre comme au Sénat, il est incontestable que la loi a finalement été votée, et le mariage homosexuel légalisé. Mais alors, qu’en est-il des réticences et oppositions exprimées ? L’opposition s’est-elle tout simplement tue, alors que le Conseil d’État avait tiré à boulets rouges sur le projet ?

    Un avis du Conseil d’État pour le moins surprenant

    Rappelez-vous : j’avais promis qu’on reparlerait de l’avis du Conseil d’État sur la question. Comment qualifier cet avis, sinon en employant des termes comme surprenant ? Avant d’aller plus loin, il est utile de rappeler le rôle des avis de la section de législation du Conseil d’État :

    L’avis de la section de législation est de nature exclusivement juridique et technique. Il ne s’immisce notamment pas dans les aspects politiques ou des questions d’opportunité de la réglementation soumise pour avis. (sur le site du Conseil d'État)

    Il apparaît donc clairement et explicitement que le Conseil d’État ne s’immisce pas dans les aspects politiques ou d’opportunité des textes qu’il examine. Cela signifie donc que, très clairement, le Conseil d’État pourrait émettre une objection ressemblant à « Le projet contrevient donc aux articles 10 et 11 de la Constitution« , ou encore « Par là-même, le projet empiète sur les compétences d’une entité fédérée » ; mais certainement pas des avis comme « le mariage homosexuel ne peut être accepté pour des raisons religieuses« , par exemple. Gardez cela bien à l’esprit, et lisez maintenant ces quelques extraits de l’avis en question :

    Les règles constitutionnelles de l’égalité des Belges et de la non-discrimination consacrées par les articles 10 et 11 de la Constitution n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre certaines catégories de personnes pour autant que le critère de différenciation soit susceptible de justification objective et raisonnable. L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe de l’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

    Au regard du but d’intérêt général que poursuit la législation civile, la situation d’un couple homosexuel n’est pas la même que celle d’un couple hétérosexuel.

    Mais on va plus loin encore :

    Un couple homosexuel et un couple hétérosexuel présentent des différences objectives liées à la nature des choses. En effet, seules les unions hétérosexuelles sont de nature à donner naissance à des enfants. Elles ont davantage besoin de stabilité et ont une utilité sociale différente des unions homosexuelles.

    Tiens, l’argument de « oui, mais les homos ils ne peuvent pas procréer, et c’est pourtant le but du mariage ! ». Une question me vient subitement à l’esprit : de nos jours, combien d’enfants sont nés hors-mariage ? Sans doute assez pour justifier que non, le but du mariage n’est plus la procréation. D’ailleurs, le Conseil d’État entend fonder ce rejet du mariage, notamment sur base de l’intention du législateur :

    Les travaux préparatoires du Code civil indiquent :
    «Le principal effet de l’union conjugale est de donner la vie à des enfants, c’est-à-dire à des êtres environnés de mille besoins.

    L’obligation naturelle de pourvoir à ces besoins est imposée à ceux de qui ils tiennent le jour; et c’est afin qu’elle fût plus sûrement remplie qu’a été institué le mariage.»

    Je tiens tout de même à rappeler que les travaux préparatoires en question datent de 1803. Je ne sais pas vous, mais moi, je ne trouve pas ça particulièrement étonnant qu’en 1803, le législateur n’ait pas ouvert la porte aux mariages homosexuels. Cela signifie-t-il qu’il l’ait définitivement fermée ? Je pense que non, puisque l’idée d’un mariage de personnes de même sexe n’avait même pas effleuré l’esprit des juristes de 1803.

    Au-delà de ça, et au vu de ces quelques extraits, je vous pose la question : avez-vous l’impression que le Conseil d’État « ne s’immisce notamment pas dans les aspects politiques ou des questions d’opportunité de la réglementation soumise pour avis » ?

    Un mariage, oui. Mais le reste ?

    Toujours est-il que, malgré l’opposition, malgré l’avis du Conseil d’État, la loi fut votée. Le mariage homosexuel fut instauré. Mais de manière fort timide. Jugez plutôt :

    Art. 7. L’article 170 du même Code, remplacé par la loi du 12 juillet 1931 et modifié par la loi du 1er mars 2000, est remplacé par la disposition suivante :
    « Art. 170. – Seront considérés comme valables en Belgique, quant à la forme :
    1° les mariages entre Belges ainsi qu’entre Belges et étrangers célébrés en pays étranger dans les formes usitées dans ledit pays;
    2° les mariages entre Belges ainsi qu’entre Belges et étrangers célébrés par les agents diplomatiques ou par les agents du corps consulaire à qui les fonctions d’officier de l’état civil ont été conférées. »

    Concrètement, cela signifie que le mariage homosexuel entre Belges est valable. Le mariage homosexuel entre un Belge et un étranger n’est possible que si le pays dont provient l’étranger le permet. Soyons clair : en 2003, cela permettait à un Belge d’épouser un Néerlandais. À part les Pays-Bas, aucun pays n’avait encore reconnu le droit de se marier aux homosexuels. Il faudra attendre octobre 2004 pour que cette condition disparaisse au profit d’une autre, plus légère : l’un des époux doit avoir vécu au moins trois mois sur le territoire belge.

    Mais ce n’est pas la seule chose qui me pousse à dire que le démarrage fut timide. En effet, le mariage entre homosexuels devrait avoir les effets que le mariage hétérosexuel. Et pourtant, ce ne fut pas le cas en 2003. En effet, les homosexuels se voyaient toujours :

    1. Refuser le droit d’adopter un enfant. Il faudra attendre la Loi modifiant certaines dispositions du Code civil en vue de permettre l’adoption par des personnes de même sexe du 18 mai 2006 pour que cette faculté leur soit ouverte.
    2. Appliquer un régime de filiation spécifique. Lorsque, dans un couple marié hétérosexuel, la femme donne naissance à un enfant, celui-ci est automatiquement supposé être l’enfant du conjoint. C’est la filiation. Elle est refusée aux couples homosexuels. En effet, aux termes de la loi, si un enfant venait à naître au sein d’un couple homosexuel (par insémination artificielle, par exemple), seul le parent biologique de l’enfant était reconnu par la loi. Notons que cette inégalité persiste aujourd’hui, mais que l’ouverture de l’adoption aux homosexuels permet de pallier ce problème.

    Bilan : une reconnaissance difficile

    Alors, que penser ? Je ne le ferai pas à votre place. Je vous ai fourni, je crois, suffisamment d’éléments pour que vous puissiez vous forger votre avis. Je me permettrai toutefois de rebondir sur le tweet de Jean Quatremer : certes, en Belgique, on a vu peu de manifestations contre la loi. Mais cela ne veut pas dire que la Belgique s’est lancée sans hésitation et sans discussion dans l’aventure du mariage homosexuel. Au contraire, les oppositions furent vives, à tel point que le mariage fut, dans un premier temps, tempéré, nous l’avons vu, par de nombreux freins. Il aura fallu plusieurs années à la Belgique pour accepter totalement l’idée d’une égalité presque parfaite des droits entre homosexuels et hétérosexuels.

    Un tableau encourageant, peut-être. Mais il ne faut pas oublier que tout ne s’est pas fait naturellement, et que, aujourd’hui encore, en Belgique, il reste des sceptiques.


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  • Fédération Wallonie-Bruxelles, une imposture ?

    Aujourd’hui, des tas d’étudiants et élèves francophones ont pu paresser plus longtemps que de coutume dans leur lit chaud, douillet et confortable. Ce jeudi, ils avaient pu débrancher leur réveil, et demander à leur parents de ne pas faire trop de bruit en partant travailler. Pour tous ces étudiants, le 27 septembre est synonyme de congé. C’est la fête de la Communauté française. Ou plutôt, comme elle se fait désormais appeler, la « Fédération Wallonie-Bruxelles ».

    Je n’aime pas cette appellation. Elle est, à mes yeux, l’illustration de trop de choses négatives. C’est pourquoi je m’entête à parler de Communauté française. Pourquoi ? Et bien, expliquons.

    D’abord, et c’est sans doute une considération de juriste, la Fédération Wallonie-Bruxelles n’existe pas dans la Constitution. Il y est toujours fait mention de la Communauté française, dans l’article 2.

    Ensuite, utiliser les mots « Wallonie-Bruxelles » démontre un régionalisme croissant du côté francophone du pays. Il s’agit, en réalité, d’apposer à la Communauté française le sceau des Régions. Et j’emploie les majuscules à dessein. Pour bien comprendre, reprenons les bases : la Belgique fédérale se compose de 3 Régions (Wallonne, Flamande et de Bruxelles-Capitale) et de 3  Communautés (française, flamande et germanophone). Il faut savoir qu’historiquement, les francophones ont toujours défendu une vision régionaliste du fédéralisme, alors que le Nord du pays avançait plutôt une vision communautariste. (En clair, celui signifie que, du côté wallon, on donne priorité, en quelque sorte, à la Région, tandis que du côté flamand, c’est à la Communauté qu’on accorde plus d’importance). Or, parler de « Fédération Wallonie-Bruxelles », c’est plaquer une étiquette régionale à la Communauté. Une manière ce creuser un peu plus le fossé, déjà fort profond, entre le Nord et le Sud.

    Mais ce n’est pas tout. Parler de « Fédération Wallonie-Bruxelles », c’est également entrer dans une logique d’exclusion. En effet, alors que l’appellation « Communauté française » était relativement neutre, même si on aurait pu lui préférer l’appellation « Communauté francophone » (mais c’est un autre débat). Par contre, parler de « Wallonie-Bruxelles », c’est clairement exclure la Flandre. C’est clairement poser un jeu de dédain mutuel : d’un côté, il y a la Wallonie et Bruxelles, de l’autre, la Flandre. Cette logique d’opposition, ne nous leurrons pas, était déjà présente alors que l’on parlait de Communauté française, mais elle n’était pas aussi exacerbée. Ici, on ne cherche même plus à jouer la carte d’une différence culturelle (et donc, pas forcément d’une opposition), on marque très clairement que la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est pas la Flandre. Si on pousse la logique à l’extrême, on pourrait même dire : « c’est toute la Belgique, sauf la Flandre ». (mais ce serait oublier la communauté germanophone)

    Enfin, troisième grief, et pas des moindres : parler de Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est méconnaître et mépriser les minorités qui vivent sur le territoire de ses deux régions, et qui sont consacrées dans la Constitution ! Je fais référence à la Communauté germanophone et à la minorité flamande de Bruxelles. Je m’explique avec des cartes, cela sera plus simple : dans la carte 1, on peut voir les zones où les différentes Communautés exercent leurs compétences. La carte 2 présente les zones où les Régions exercent leurs compétences.

     

    Carte des communautés

    Carte des régions

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Si on superpose ces deux cartes, on peut constater que la zone de la Région Wallonne et de la Communauté française ne coïncident pas tout à fait : la Communauté est compétente à Bruxelles, et pas la Région, alors que la Région est compétente dans les territoires de l’Est, où la Communauté germanophone, et non française, peut exercer ses compétences.

    Parler de Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est donc oublier :

    • La Communauté germanophone : La Région Wallonne est compétente sur le territoire de la Communauté germanophone, mais pas la « Fédération Wallonie-Bruxelles », contrairement à ce que ce nom pourrait laisser entendre. En parlant de « Wallonie-Bruxelles », on méconnaît les germanophones en privilégiant, je lai déjà évoqué, une approche régionaliste.
    • La minorité flamande de Bruxelles. La Communauté flamande, n’en déplaise à certains, est également compétente à Bruxelles. Ce nouveau nom laisse entendre le contraire, ce qui constitue une mise entre parenthèse des flamands de Bruxelles.

    Voilà, brièvement, les raisons pour lesquelles je ne refuse à parler de Fédération Wallonie-Bruxelles. Et vous, qu’en pensez-vous ?


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  • Belgian Constitution. Serious Business

    En ce moment, la Belgique est secouée par deux drames : de l’un, on parle beaucoup. 28 personnes ont trouvé la mort dans un accident de car en Suisse. Parmi les victimes, 22 enfants. C’est tragique, certes. Et c’est pour cela que les média ne parlent plus que de ça. Cela fait la une des journaux depuis trois jours. Mais ce n’est pas ce drame-là et sa surmédiatisation dont je veux parler ; je vous renvoie pour cela au billet d’humeur d’un ami, qui résume fort bien mon sentiment. Moi, je veux parler d’un drame qui a lieu dans l’ombre. Un drame démocratique (d’accord, l’hyperbole n’est pas nécessaire, mais ça rend les choses plus classe) dont on ne parle finalement que très peu, peut-être à cause de la technicité du sujet : la Chambre des Représentants a voté la révision de l’article 195 de la Constitution. Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de cette révision, je vais commencer par une introduction sur la Constitution elle-même, puis sur le fameux article 195.

    La Constitution, késako ?

    Qu’est-ce que la Constitution ? Les gens parlent parfois de ce texte nébuleux, surtout connu, pour certains, parce que le mot le plus long de la langue française serait anticonstitutionnellement. Mais quand on leur demande de définir la Constitution, les gens ont plus de mal. « C’est un truc de juriste, vous savez. »

    La Constitution, c’est le texte fondamental qui pose les bases de l’état belge. Elle en décrit les formes, définit les pouvoirs, les droits fondamentaux des citoyens. C’est la Constitution qui fonde tous les pouvoirs, qui définit et limite les prérogatives du Roi, des Chambres, etc. Elle règle les rapports entre gouvernants et gouvernés. Bref, la Constitution, c’est la charpente de l’État, le B.A.-BA  du droit public.

    Pas étonnant, dès lors, que les débats sur la nécessité de voir apparaître une Constitution aient secoué la Révolution Française, ou que, dès 1830-31, les Congressistes belges se soient donné comme première tâche la rédaction de ce texte fondamental.

    Mais revenons à la Constitution belge. C’est un texte de 198 articles, répartis en 9 Titres. On y trouve tout ce qui fonde l’État : l’article 1er, par exemple, stipule que « La Belgique est un État fédéral qui se compose des communautés et des régions. » Plus fondamental que ça, tu meurs. Le Titre I tout entier est destiné à l’organisation de la Belgique comme état fédéral. Le Titre II, lui, traite « Des Belges et de leurs droits », et le Titre III, « Des pouvoirs ». Ces trois titres sont souvent retenus comme les titres les plus importants de la Constitution, en ce qu’ils définissent et fixent clairement (quoique parfois, un peu moins clairement) les « règles du jeu » de l’état belge. 

    Voilà, sans entrer dans les détails, une présentation succincte de la Constitution. Pour ceux que ça intéresserait, vous pouvez consulter la Constitution belge en cliquant sur ce lien.

    Et l’article 195, alors ?

    L’article 195, lui, ne fait partie d’aucun des titres précédemment cités : il appartient au Titre VIII, « De la révision de la Constitution ». Voilà, à la virgule près, l’article 195 tel qu’il apparaît maintenant, sans aucune révision :

    Le pouvoir législatif fédéral a le droit de déclarer qu'il y a lieu à la révision de telle disposition constitutionnelle qu'il désigne.

    Après cette déclaration, les deux Chambres sont dissoutes de plein droit.


    Il en sera convoqué deux nouvelles, conformément à l'article 46.


    Ces Chambres statuent, d'un commun accord avec le Roi, sur les points soumis à la révision.


    Dans ce cas, les Chambres ne pourront délibérer si deux tiers au moins des membres qui composent chacune d'elles ne sont présents; et nul changement ne sera adopté s'il ne réunit au moins les deux tiers des suffrages.

    Vous l’aurez compris, l’article 195 fixe la procédure de Révision de la Constitution. Car la Constitution n’est pas un texte sacro-saint auquel il est interdit de toucher. Pour reprendre la formule d’un fameux juriste français, Portalis, « Les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois. » [Portalis, Discours préliminaire sur le Code Civil des français, 1801] Portalis ouvrait, par là, une idée nouvelle dans le droit, celle d’un droit adapté à la société qu’il régit. C’est donc, toujours selon Portalis, aux lois à s’adapter aux hommes et non l’inverse. Voilà pourquoi la Constitution, adoptée, je le rappelle, en 1831, peut être révisée, c’est-à-dire modifiée : la société évolue, les valeurs et les droits fondamentaux aussi, et il faut que le texte fondateur de l’État puisse intégrer ses changements.

    Pour justifier l’utilité de la révision de la Constitution, un juriste belge, Pierre Wigny (également plusieurs fois ministre au courant du XXème) écrivait : « Les constituants n'ont pas enraciné dans le terreau belge un arbre mort mais un arbre vivant. Dans son tronc et ses branches la sève circule. C'est une condition essentielle pour que cet arbre ne soit pas arraché au premier orage politique. Au contraire, le vent jouant dans ses branches doit faciliter la floraison et le développement de nouveaux rameaux » [Pierre Wigny, Droit constitutionnel - Principe et droit positif, 1952]

    Toutefois, permettre de modifier la Constitution peut être dangereux : à quoi bon avoir des règles, si on peut les changer comme cela nous arrange ? La Constitution n’aurait aucune raison d’être si elle dépendait uniquement du bon vouloir du gouvernement ou du Parlement. C’est pourquoi les Congressistes ont, dès le début, souhaité limiter les Révisions de la Constitution, ou en tout cas rendre la procédure suffisamment lourde pour qu’aucun changement ne soit pris à la légère.

    Décortiquons cette procédure, détaillée dans cet article 195. Elle a lieu en 3 temps :

    1. Le pouvoir législatif fédéral (comprendre : la Chambre, le Sénat, et le gouvernement) décide qu’il y a lieu de réviser la Constitution. Chaque branche adopte donc une Déclaration de Révision de la Constitution. A la Chambre et au Sénat, cette Déclaration est votée à la majorité simple. Au sein du gouvernement, elle est adoptée au consensus. Dans cette déclaration, le législatif décide d’ouvrir certains articles à révision. Il en dresse une liste. Seuls les articles présents sur les déclarations des 3 branches du législatif seront ouverts à révision.
    2. Dès la publication des Déclarations au Moniteur belge, les Chambres sont dissoutes de plein droit (c’est-à-dire automatiquement), et des élections sont organisées dans les quarante jours.
    3. Les Chambres nouvellement élues statuent sur les articles ouverts à révision, et uniquement sur ceux-ci. Elles peuvent les modifier comme ne pas y toucher, mais en aucun cas elles ne peuvent réviser un article qui n’a pas été ouvert à révision. Pour pouvoir adopter la révision en tant que telle, les Chambres doivent respecter un quorum de présence de 2/3 de leurs membres, et, parmi les présents, au moins 2/3 doivent voter dans le sens de cette révision. Ainsi, à la Chambre, qui compte 150 élus, pour que la déclaration soit adoptée, il faut au minimum 100 députés présents, et que, parmi ces 100, au minimum 67 votent en faveur de la révision.

    Vous pouvez le constater, la procédure est lourde, en ce qu’elle entraîne la dissolution des Chambres et la convocation des électeurs.

    L’article 195, garde-fou ?

    En créant une procédure lourde, les constituants de 1831 entendaient, je l’ai dit, limiter la « mollesse » de la Constitution, histoire de baser l’état sur un document qui, s’il n’est pas intangible, n’en demeure pas moins protégé.

    D’autant plus que l’idée de dissoudre les Chambres répond à un double objectif : d’une part, alourdir la procédure, mais, surtout, de provoquer des élections et, par là même, de demander l’avis du peuple sur la révision de la Constitution envisagée. En effet, en votant pour les mêmes partis, les belges marquent, théoriquement, leur accord avec la Déclaration de Révision.

    Seulement, ce second objectif est, de nos jours, largement perdu de vue. Est-ce la faute du peuple, profitant de la délégation de sa part de la souveraineté aux hommes politiques pour vivre sa vie confortablement, ou des pratiques politiques nées après la Seconde Guerre mondiale ? Un peu des deux, je crois.

    Mais quelles sont ces pratiques auxquelles je fais référence ? Et bien, vous ne le savez peut-être pas, mais, depuis la Seconde Guerre mondiale, les législatures se terminent toutes par une déclaration de révision de la Constitution. Adopter une Déclaration est devenu le mode normal de dissolution des Chambres. Concrètement, cela signifie que, à chaque élection législative, en plus de renouveler les Chambres, les électeurs belges marquant implicitement leur accord ou désaccord avec une Révision de la Constitution. Quels électeurs en sont conscients ? Pas beaucoup, j’en mettrais ma main à couper. Tout simplement parce que les partis ne jouent plus là-dessus. Ils ne le précisent pas, alors qu’ils travaillent tout de même sur l’acte fondamental de l’état belge !

    Mais c’est un mal pour un bien, si on peut dire : par cette pratique, le droit constitutionnel continue à vivre, à bouger. Car, en absence de Déclaration, c’est durant toute une législature qu’on ne pourra pas toucher à la Constitution (soit, actuellement, durant 4 ans).

    On constate donc déjà une certaine banalisation d’une procédure conçue à la base pour être exceptionnelle. Cela dit, cela n’avait jamais vraiment menacé la démocratie belge, puisqu’on s’en tenait encore aux règles prescrites par cet article 195, même si on s’arrangeait pour faire coïncider la publication des Déclarations de Révision avec la fin normale de la législature.

    La situation actuelle : un tour de passe-passe constitutionnel

    Mais la situation actuelle pose pas mal de questions. Surtout en tenant compte de la situation de crise politique que la Belgique a connu. Pour comprendre le fil de ma pensée, et pour saisir en quoi cette révision adoptée à la Chambre est, à mes yeux, un tour de passe-passe qui frôle l’anticonstitutionnel, il faut remonter quelques années dans le temps.

    2007 : Après les 4 années de législature prévues, et comme tous les gouvernements jusque-là, les Chambres sont dissoutes suite à la publication d’une Déclaration de Révision de la Constitution. Le gouvernement Verhofstadt II démissionne quelques jours plus tard. Des élections sont organisées.

    Il s’ensuit une crise politique que l’on qualifiera, à l’époque, de « sans précédent ». Je n’entrerai pas ici dans les détails, mais un gouvernement intérimaire, le gouvernement Verhofstadt III, est formé, en attendant qu’Yves Leterme trouve un moyen d’assumer son succès électoral.

    Le gouvernement Verhofstadt III demeurera à la tête du pays en tant qu’intérimaire jusqu’en mars 2008. Etant justement intérimaire, ce gouvernement ne peut travailler sur la révision de la Constitution.

    En mars 2008, le gouvernement Leterme I est formé. Il chutera toutefois fin décembre, suite à la Fortisgate. Herman Van Rompuy le remplace à la tête du pays jusqu’en novembre 2009, lorsque ce dernier devient président du Conseil européen. Leterme II est donc formé en 2009. Dans cette valse de démission, Leterme II démissionne en 2010.

    Pour faire bref, retenez juste ceci : sur la période 2007-2010, soit 3 ans, un an de moins qu’une législature normale, c’est pas moins de 4 gouvernements qui se sont succédés au 16, rue de la Loi. Dont aucun n’a pu se pencher sur une révision Constitutionnelle et, comme leur chute était à chaque fois imprévisible (ou qu’ils n’en avaient pas le droit, comme le gouvernement intérimaire Verhofstadt III), jamais, durant cette période, les Chambres n’ont adopté de Déclaration de Révision de la Constitution.

    Dès lors, le gouvernement Leterme II, en affaire courantes, n’ayant pas adopté de Déclaration de Révision de la Constitution, devait, en théorie, clore le débat constitutionnel jusqu’à la prochaine législature. Toutefois, la première « liberté constitutionnelle » a ici été prise. En effet, au vu des Réformes Institutionnelles qui s’annonçaient, le gouvernement ne pouvait pas se permettre de ne pas ouvrir certains articles de la Constitution à révision. Cela serait revenu à enterrer la Sixième Réforme avant même qu’elle ne soit née. C’est pourquoi suite à un débat entre constitutionnalistes, il a été permis au gouvernement Leterme II, pourtant en affaires courantes, d’adopter une déclaration de révision de la Constitution. Mais avec la limite, fixée dès 1974, que le gouvernement ne pouvait adopter que la Déclaration de la législature précédente. Et quelle était la dernière législature à s’être achevée par une Déclaration ? Celle de Verhofstadt II, en 2007 ! Mais cette Déclaration avait un goût de trop peu. C’est pourquoi les Chambres et le gouvernement (en affaires courantes !) ont rajouté quelques articles, prenant ainsi des libertés avec le principe.

    Voilà donc comment le gouvernement Leterme II a « sauvé » la Sixième Réforme de l’État, permettant au futur gouvernement Di Rupo I de modifier certains articles de la Constitution.

    Mais, si vous avez bien suivi, quelque chose doit vous déranger, vous titiller. Je ne parle pas de votre chat qui se frotte contre vos jambes, mais bien d’une question que vous vous posez peut-être : « la Sixième Réforme de l’État nécessite sans doute beaucoup de changements dans la Constitution (les négociateurs nous la vendaient après tout comme « un accord révolutionnaire qui va stabiliser le pays pour 20 ans »)… Est-ce qu’ils rentrent tous dans les articles ouverts à la Révision en 2007 ? »

    Réponse : non. Les négociateurs ont prévu de vastes réformes, et auraient besoin de modifier plus d’articles. Comment ont-ils donc pensé faire ?

    Vous l’avez sans doute compris : pour leur permettre, sans devoir dissoudre les Chambres et faire chuter le gouvernement (enfin formé après plus de 500 jours de négociations), la solution était… De réviser l’article 195. C’est-à-dire de réviser l’article qui fixe la procédure de révision. Ils pouvaient ainsi appliquer leur Réforme Institutionnelle sans devoir mettre à néant le travail de 500 jours sans gouvernement de plein exercice. Fort heureusement pour le gouvernement Di Rupo I, l’article 195 figure dans la liste des articles ouverts à révision !

    Et, du coup, on en profite…

    La révision de l’article 195 : second tour de passe-passe

    L’article 195 de la Constitution est complété par une disposition transitoire rédigée comme suit:

    “Disposition transitoire

    Toutefois, les Chambres, constituées à la suite du renouvellement des Chambres du 13 juin 2010 peuvent, d’un commun accord avec le Roi, statuer sur la révision des dispositions, articles et groupements d’articles suivants, exclusivement dans le sens indiqué ci-dessous: […]

    Article unique de la Révision de l’article 195 de la Constitution

    Voilà comment débute cette révision de l’article 195. A la suite, une septantaine d’articles sont énumérés.

    Voilà, pour moi, le second, et sans doute le plus gros, tour de passe-passe constitutionnel. On ajoute à l’article 195 une disposition transitoire permettant aux Chambres élues suite aux élections du 13 juin 2010 de modifier toute une série d'articles, qui n'étaient pas présents sur la liste des articles ouverts à révision. Il s’agit, en somme, de prévoir une exception à l’article 195.

    Cela m'a l'air d'être une pratique légèrement "frauduleuse". En effet, il ne suffirait alors, pour les Chambres préconstituantes, de n'ouvrir à la révision que l'article 195 et d'y insérer, à chaque fois, une disposition transitoire leur permettant de réviser les articles qu'il leur semblera bon de réviser. On se retrouve donc avec une possibilité de réviser des articles qu'on ne devrait pas pouvoir réviser, et ce, sans dissoudre les Chambres, et donc, indirectement, sans demander l'aval de l'électeur. Est-ce que cela n'est pas, d'une certaine manière, s'affranchir temporairement de cet article 195, de le mettre entre parenthèses le temps d'opérer aux modifications qui semblent bonnes ? Et, par là même, contrevenir à l'article 187, qui stipule que la Constitution ne peut être suspendue, en tout ou en partie ? Par là-même, cette disposition transitoire n'est-elle pas anticonstitutionnelle ?

    A ce sujet, je souhaiterais citer Olivier Maingain, président du FDF. Il résume de fort belle manière ma pensée au sujet de cette galipette constitutionnelle :

    Voilà le ’truc du trucage’ ou, plus exactement, le ’trucage du truc’. Voilà ce que j’appelle la fraude constitutionnelle. Il est évident que c’est vider l’article 195 de sa portée que de recourir à ce trucage, et vous le savez tous ! On se tortille : on dit que cela ne durera que le temps d’une législature ; on dit avoir pris des garanties en prévoyant l’adoption de la proposition de révision à la majorité spéciale ; on dit que nécessité fait loi, que l’on a un si bon accord ! […]

    Ainsi, pour moi, cette pratique nouvelle, ce « trucage », comme l’appelle Monsieur Maingain, ouvre la porte à bien des abus par le futur. En effet, l’article 195 ne sert plus que d’épouvantail. L’impression que cela me fait, c’est qu’on le conserve, pour la forme, mais qu’on ne tient de toute façon pas compte. Cela me semble invraisemblable que, dans un État de Droit, on prenne autant de liberté avec l’acte fondamental, avec le sommet de la pyramide des sources.

    Réviser de cette manière l’article 195 revient, à mes yeux, à réviser la démocratie belge à son fondement, et trahir la volonté des constituants de 1831, qui souhaitaient asseoir l’État belge sur une base solide. Je ne vois dans cette pratique qu’un gouvernement en train de scier la branche sur laquelle il est assis.

    Voilà pour mon humeur du moment. Je suis bien conscient que ce billet est long et technique, mais j’ai tenté d’être le plus didactique et clair possible. Si vous avez une quelconque question, une remarque ou un avis à formuler, n’hésitez surtout pas. Je rappelle que ce texte ne renferme que des pensées personnelles, et qu’il ne constitue en aucun cas la seule interprétation de la situation. Si vous en avez une autre, faites m’en part, nous pourrons en discuter.

    Constitutionnellement vôtre,

    Foénor


    1 commentaire
  • Aujourd’hui, la Belgique ne parle presque plus que de ça. Même les étudiants, qui ont pourtant commencé à étudier avec acharnement, s’échangent leurs avis. La plupart en parlent à cause de la grève générale qui paralysera le pays jeudi. D’autres, moins nombreux, se prononcent sur le fond de l’affaire. Ce qui gène, c’est la réforme des pensions. Les syndicats montent au créneau, les chauffeurs de bus, trains, tram et métro débraient. Les services publics se joignent à l’action. Bref, la Belgique fonctionnera au ralenti.

    Mais, qu’on soit pour ou contre le contenu de cette réforme (sur laquelle, au demeurant, peu se sont penchés), personne ne s’attarde sur la forme qu’elle a pris. Et, pour moi, c’est pourtant là le principal sujet d’indignation. Parce que l’opacité dont fait preuve le monde politique à ce sujet est invraisemblable. Parce que les mécanismes de contrôle, de pouvoirs et de contrepouvoirs mis en place dans la démocratie belge semblent de plus en plus fragiles. Parce que la politique se résume trop à un dictat des partis politiques. Parce que les parlementaires ne sont plus libres de faire ce qu’ils souhaitent, et de décider souverainement.

    Peut-être pensez-vous, en ce moment, que j’y vais un peu fort. Que j’exagère. Vous avez peut-être raison. Mais avant de pouvoir l’affirmer, prenez bien le temps de lire ce qui suit.

    Tout d’abord, si vous désirez voir et lire par vous-même la loi contenant cette réforme, inutile de chercher « pensions » au Moniteur Belge. Vous perdriez votre temps… Non, cette loi qui modifie le régime des pensions est publié sous le titre ô combien clair et précis de… « Loi portant sur des dispositions diverses », une loi-programme, comme on appelle cela. Pour résumer le principe, il s’agit de véritables lois « fourre-tout », dans lesquelles on place des dispositions les plus diverses. En général, elles comptent plusieurs centaines d’articles dont les sujets varient sans logique apparente. Et, à ce patchwork d’articles, on donne le titre de « loi portant sur des dispositions diverses ». Je vous souhaite bonne chance pour connaître le contenu de la loi avant d’avoir dû lire les 240,45 articles qui la composent…

    Mais ce n’est pas le seul problème. Outre ce problème d’opacité, il y a pire : les dispositions sur les pensions ont été ajoutées… Par amendement. En effet, aucune disposition ne traite des pensions dans le texte originel. Quel est l’intérêt, me demanderez-vous. Et bien, il est simple : cette astuce permet d’éviter l’avis du Conseil d’Etat sur ce sujet, qui est obligatoire dans le cadre d’un projet de loi (qui émane donc du gouvernement). Même si cet avis n’est pas contraignant, cela permet d’éviter un réel débat et, de plus, permet de gagner du temps.

    Pour résumer, le problème que je vois ici est un double problème de transparence. D’une part, la réforme est insérée, presqu’en passant, dans une loi-programme et, d’autre part, elle n’y apparaît que via des amendements ultérieurs.

    Evidemment, c’est le gouvernement qui est derrière ce projet de loi. C’est le gouvernement qui a « proposé » ces amendements. Pas les parlementaires. On pourrait alors m’objecter que les parlementaires n’ont qu’à s’indigner devant cette situation. C’est vrai, mais aucun ne le fait. Pourquoi ? Parce que, dans la démocratie belge, tout tourne autour des partis politiques. Vous ne pouvez pas ne pas l’avoir remarqué. Un gouvernement tient parce que les partis qui le composent le soutiennent. Dès que ce n’est plus le cas, il tombe. On vote des lois à majorité contre opposition. Dans le vote des parlementaires, bien souvent, on observe un alignement froid sur la ligne du parti. Les exemples de parlementaires s’opposant à leur chef de parti sont rares.

    Par lâcheté ? Par confort, je pense. Le système est construit de telle manière que les parlementaires doivent trop souvent mettre une potentielle réélection dans la balance, l’autre plateau se contentant de leurs convictions personnelles. La place des candidats sur les listes électorales, et donc concrètement les chances pour tel ou tel candidat d’être élu est une décision qui revient au parti. Or, quel parti mettra en tête de liste un parlementaire turbulent ?

    S’il n’y avait que la réélection comme enjeu, l’attitude écrasée des parlementaires pourrait être risible. Mais, parallèlement à une potentielle réélection, il ne faut pas perdre de vue que la fonction parlementaire est indemnisée, et que nombre de politiques se sont lancés dans une véritable carrière parlementaire. En quelque sorte, en s’inclinant ainsi, les parlementaires cherchent juste à conserver leur job. C’est une attitude humaine, non ? Peut-on vraiment les blâmer et les traiter de pourris ?

    Bien sûr, je ne cautionne pas cet état de fait. Je suis même de ceux qui le déplorent. Je ne suis pas un démocrate convaincu. Je suis plutôt, à l’image de Churchill, de ceux qui croient que « la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres déjà essayés par le passé ». Démocrate par dépit, en quelque sorte. Mais démocrate tout de même. Et quitte à jouer le jeu de la démocratie, autant le faire correctement.


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