• Fin du Monde ?

    La Mort resserra ses doigts squelettiques sur les rênes de sa monture. Elle tourna la tête à droite, puis à gauche. Enfin, elle contempla le monde à ses pieds. Quel beau bordel, quand même. La fin du monde, elle attendait ça depuis des millénaires. Pouvoir chevaucher vaillamment avec les copines, répandre terreur et destruction, donner un coup de pouce à un monde en pleine autodestruction et puis, plus tard, y penser avec un béat sentiment de travail accompli. Des millénaires, je vous dis ! Elle avait même pensé à recharger la batterie de son appareil photo pour avoir des souvenirs !

    Mais elle ne voyait pas cela comme… ça. Elle n’avait pas bien compris ce qu’il s’était passé, d’ailleurs. Elle rentrait à peine de son service, avait averti les nouveaux cadavres de leur état, comme d’habitude… Et puis, un de ses assistants avait déboulé, comme fou. Il balançait les bras dans tous les sens en hurlant que la fin du monde approchait et qu’il faudrait penser à la Chevauchée. Ni une, ni deux, la Mort avait sauté sur son cheval (qui avait émis un grognement désapprobateur, d’ailleurs (oui, le cheval de la Mort peut grogner, c’est un cheval spécial (en même temps, avec une cavalière pareille… (bah oui, on dit « la » mort, non ?)))) et s’était précipitée au Sommet du monde pour évaluer la situation. Et découvrir que c’était, passez-moi l’expression, un vrai foutoir. Apparemment, la fin du monde avait comme origine un désaccord.

    Un désaccord au sujet de la fin du monde. D’un côté, ceux qui maintenaient mordicus que les maya avaient raison et que 2012 (la Mort vérifia sur son calendrier : oui, on était bien en 2012) marquerait la fin du monde. De l’autre, les sceptiques qui ne croyaient pas, je cite « à ces balivernes nostradamusiaques tout juste bons à effrayer mon chien, et encore, mon chien n’est pas si crédule ». Apparemment, le camp des partisans mayas, exaspéré par l’ironie impie des sceptiques, avait orchestré un magnifique soulèvement mondial. Sans perdre une seconde, les sceptiques avaient répliqué. Cela avait commencé par des manifestations pacifiques. Allez savoir comment on en était arrivé à des combats de rues avec agrafeuses dans un environnement post apocalyptique.

    « Je peux te raconter, si tu veux, intervint une voix derrière la Mort »

    Parée d’une cape rouge sang, les cheveux en bataille et les mains maculées de sang, la Guerre s’approcha. Elle adressa un sourire à l’autre Cavalière, découvrant ses dents pointues et tranchantes comme la lame du couteau de Rambo (c’est-à-dire capable de trancher n’importe quoi en deux, et quand je dis n’importe quoi, c’est vraiment n’importe quoi, comme un char d’assaut ou un smarties). La Mort rendit son sourire à la Guerre. Après tout, les deux Cavalières étaient amies de longue date et, depuis leurs débuts en tant qu’Apocalyptiques, elles ne s’étaient que rarement séparé.

    « D’abord, commença la Guerre, ils ont été bien inspiré. Les Illuminés –c’est comme ça que j’appelle ceux qui croient à la fin du monde- ont manifesté dans les rues. Les Sceptiques ont riposté en manifestant aussi. Alors, les Illuminés ont commencé des conférences pour illuminiser les Sceptiques. En réponse, les Sceptiques ont tenté de scepticiser les Illuminés. Comme les messages ne semblaient rentrer dans la tête ni des Sceptiques, ni des Illuminés, ils ont commencé à tenter de les faire rentrer de force. C’est comme ça que les Illuminés se sont mis à donner des coups de marteau sur le crâne des Sceptiques et inversement. Pour se défendre, ils ont mutuellement commencé à utiliser des armes à feu. Puis les avions, les tanks et tout ce bordel. Après, ils sont passés à l’arme atomique. Mais que faire, après ? Ils avaient carbonisé les armes potentiellement les plus dangereuses et détruit la moitié du monde. C’est là que Famine est intervenue. »

    Une autre Cavalière, bien en chair (non, en fait, carrément grosse), une besace remplie de nourriture pendant au côté, un reste de crème chantilly au coin des lèvres, s’avança vers les deux autres. La Famine, car c’était elle, tenta d’avaler ce qu’elle avait en bouche, et s’adressa à ses camarades, la bouche à moitié pleine :

    « Abrès, les hobbes ont cobbencé à ferfer à banger. Cobbe il be restait pas grand-fose, ils se sont battus avec ce qu’ils trouvé. Les agrafeuses. »

    Une forte odeur de rose agressa les narines des trois Cavalières. Elles se retournèrent toutes ensemble pour voir s’avancer vers elles une jeune femme élégamment maquillée, parfumée pour douze, avec des manières de diva.

    « Voilà, dit Pestilence. Je viens de finir mon boulot. Les cadavres avec une agrafe dans la tête commencent à pourrir. 

    - Parfait, répliqua Mort. Prêtes, les filles ? 

    - Prêtes, répondirent-elles en chœur. »

    D’un geste, les Cavalières de l’Apocalypse grimpèrent sur leur monture. Pestilence sortit une bouteille de parfum et en vaporisa un peu dans l’air, tandis que Famine avala un troisième sandwich au grand dam de son cheval. D’un air majestueux, les Cavalières s’élancèrent dans la dernière Chevauchée.

    Au final, les Illuminés avaient eu raison : la fin du monde arriva en 2012. Mais on jugea qu’il y avait match nul : cette fin du monde, ils l’avaient un peu cherchée.

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  • Commentaires

    1
    Théodora Profil de Théodora
    Jeudi 7 Mars 2013 à 12:31

    Super ! Je m'attendais à un texte du genre "Apocalypsis", mais c'est aussi bien ! Et de redécouvrir les cavaliers, c'est assez drôle, surtout le cavalier noir ! Disette, Guerre, Pestilence et Mort, ces noms deviennent bien ironiques sous votre plume. Merci pour le texte !

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