• L'Abiès de Sakura

     

    Il était une jeune fille, belle comme l’aurore, fraîche comme l’eau d’un lac de montagne. Elle était belle, blonde comme l’automne, la peau lisse comme l’été, l’habit clair comme le printemps, le regard profond comme l’hiver. Son rire était Soleil, ses larmes averse. Lorsqu’elle dansait, le monde dansait avec elle : elle faisait la pluie et le beau temps. Devant sa beauté, les plus hautes montagnes s’inclinaient humblement, les océans les plus noirs se calmaient, les nuages les plus noirs se dissipaient l’air honteux. Cette jeune femme, Maîtresse du monde, se nommait Sakura.

    Sakura est belle, entend-t-on partout. Sakura danse, dansons avec elle. Partout, les hommes entament une valse. Les animaux un tango. Le monde entier se met à bouger : la terre s’agite, l’air commence une gigue, la mer se lance dans un flamenco. Le monde est heureux et mûrit sous les pieds de la belle Sakura.

    Un jour, alors que Sakura gambadait dans les bois, suivie d’une horde d’admirateurs, humains et moins humains, réels et moins réel, elle arrive dans une clairière. Curieuse, elle fronce un sourcil : elle ne l’a jamais vue auparavant. Pourtant, Sakura a dix-neuf ans et connaît la forêt comme sa poche. Intriguée, elle s’avance. Elle doit plisser les yeux pour y voir clair, tant l’obscurité de la clairière semble surnaturelle. Elle déglutit. Elle se demande sur quoi elle va tomber. Un instant, son cœur s’accélère. Puis elle est soulagée : elle y croise un jeune homme, le regard triste. Il ne danse pas avec le monde qui l’entoure. Il n’est pas contaminé par l’allégresse légère de Sakura. Lorsqu’elle lui demande qui il est, il répond qu’il s’appelle Abiès.

    « C’est un joli nom, lui dit-elle d’abord. Soyons amis ! »

    Abiès acquiesce. Il ne comprend pas. Il a toujours vécu seul et loin des hommes. Sakura le prend par la main, lui sourit tendrement. Abiès, hésitant, tente de danser avec le monde de Sakura. Il est maladroit, il ne comprend pas tout. Mais il fait des efforts, il essaye. Au départ, il titube, ne tient pas bien debout. Petit à petit, il apprend à marcher. Il peu suivre Sakura. Heureux, il quitte la clairière qui l’a vu naître, il marche dans ce monde trop coloré et trop dansant. Il n’aime pas cela mais, pour les doux yeux de Sakura, il ferme la bouche et danse. Il danse jusqu’à perdre haleine, jusqu’à ne plus se reconnaître. Il danse sur ses problèmes, il danse sur ses idées, sur ses convictions. Il se met en quatre, car il ne veut pas voir le sourire de Sakura se tarir. Il ne veut pas que son regard se voile de nuages de peine.

    Mais le temps passe et Abiès se lasse d’efforts perdus pour un sourire. Oh, il l’aime toujours autant, ce sourire ! Il ne veut pas le voir disparaître, surtout pas ! Mais il se lasse de voir que Sakura se borne à lui sourire, sans jamais rien lui dire de plus, sans jamais rien lui faire de plus. Il ne voit aucun résultat à ses efforts. Alors, il en parle à Sakura. Qui lui sourit de plus belle. Il pense que tout est arrangé. Et se remet à danser. Avec plus d’entrain. Il persiste et signe : il danse sur ses douleurs, sur ses questions.

    Puis, à nouveau, il souffre, il se lasse. Il s’en retourne à sa clairière. Il en souffre beaucoup, parce qu’il y fait sombre. Les yeux de Sakura lui manquent. Mais il se sent mieux aussi, car il n’est plus forcé de danser. Toutefois, dans l’obscurité, Abiès se met à pleurer. Pour mieux se relever. Mais plus tard.

    Sakura, elle, ne fait qu’en rire, et ne s’arrête pas de sourire.

     

    Vingt ans après, Sakura s’est fanée. Son monde ne danse plus. Comme Abiès, beaucoup l’ont délaissée. Elle n’a pas compris pourquoi. Elle n’a pas su se remettre en question.

    Abiès, lui, s’il a beaucoup pleuré, s’il s’est beaucoup questionné, a fini par comprendre. Il s’est relevé, et, sans se remettre à danser, a fini par trouver le bonheur.

    La morale de cette histoire, me demandez-vous ? Il faut mieux être un Abiès épineux qu’un Sakura insouciante : la vie vous en punira moins.

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 19 Septembre 2011 à 19:01

    C'est joliement raconté même si je n'adhère pas trop à la morale =)

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    2
    Jeudi 22 Septembre 2011 à 23:01

    Héhé, chacun sa vision des choses =)

    Mais j'aime bien écrire sous forme de conte, de temps en temps... Heureux que ça t'ai plu :)

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