• Le Mariage homosexuel... En Belgique : comme une lettre à la poste ?

    Texte publié sur Diffractions le 18 novembre 2012

     

    Alors que la désormais fameuse loi «  Mariage pour tous » déchaîne les passions et l’homophobie latente dans notre bonne vieille France, où Marianne voit se multiplier les manifestations aux slogans dégoulinant de pseudo droit naturel exigeant pour les enfants un père et une mère, sans quoi notre société, gangrénée par une bande de déséquilibrés éduqués par deux mères – ou pire, deux pères – court à sa perte, force est de constater que la sphère internet n’est pas épargnée. Les commentaires vont bon train, des articles se multiplient sur les blogs, tantôt pour clouer au pilori cette indigne loi, tantôt pour la glorifier.

    Mais c’est plus précisément un tweet de Jean Quatremer, qu’on ne présente plus, qui m’a poussé à rédiger cet article. Ce tweet, le voici :

    Tweet de Jean Quatremer

    Certes, le mariage homosexuel semble maintenant unanimement accepté en Belgique, et rares sont ceux qui disent se souvenir de manifestations bruyantes lorsque la loi est passée. Rappelons-nous : c’était il y a presque 10 ans, en 2003.

    Un accouchement difficile

    Le 30 janvier 2003, la Chambre des Représentant adoptait la « proposition de loi ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil », devenue « Loi ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil », promulguée le 13 février 2003. La procédure qui avait amené à son adoption avait été pour le moins bizarre.

    En réalité, cette loi est d’abord le projet du gouvernement. Anecdote ou pas, rappelons que le gouvernement de l’époque, le gouvernement Verhofstadt II, dit gouvernement arc-en-ciel, associait les socialistes, libéraux et écologistes. Qui en sont les grands absents ? Les Chrétiens-démocrates. A vous de voir ce qu’il faut en penser.

    Toujours est-il que le dossier est traité en Conseil des Ministres le 22 juin 2001. L’avis du Conseil d’État, obligatoire sur tout avant-projet de loi, est rendu le 12 novembre 2001. Nous y reviendrons en détail. Finalement, le Conseil des Ministres dépose le projet de loi à la Chambre le 30 janvier 2002. La Chambre ne l’inscrira pas à son ordre du jour pendant 5 mois. C’est pourquoi le Conseil des Ministres retire sa proposition, et ce sont des sénateurs de la majorité qui déposeront une proposition de loi, textuellement identique au projet du gouvernement, devant le Sénat.

    Comment expliquer une telle apathie de la Chambre ? Il faudrait creuser plus avant la question. Était-ce la délicatesse du dossier ? Y avait-il d’autres raisons ? J’ignore encore les raisons profondes de ces 5 mois d’inaction. Peut-être les découvrirai-je en épluchant les annales parlementaires. Mais, au fond, peu importe. Le fait qu’un dossier aussi important a été congelé pendant cinq mois est déjà fort significatif.

    Jusqu’au jour où plusieurs sénateurs, probablement sur demande du gouvernement, proposent le même texte au Sénat, tout en demandant de le voter relativement vite. Finalement, la loi ne sera votée que le 30 janvier 2003, et promulguée le 13 février de la même année. On constate donc, et c’est plutôt rassurant, que, loin de céder devant une urgence alléguée par le gouvernement, le Sénat a pris le temps de réfléchir et de se pencher sérieusement sur cette proposition.

    Elle est tout d’abord examinée en Commission Justice, de nombreux experts seront entendus. Les positions sont fermement défendues, chez les pros comme chez les contras. Tous reconnaissent l’importance de lutter contre les discriminations, mais certains regrettent que le terme « mariage » soit employé. Pour certains, le mot a une force symbolique trop puissante que pour être ouvert aux personnes de même sexe. Ceux-là préconisent plutôt, à l’instar d’un député CDH, « qu’un pacte de cohabitation légale impliquant de nouveaux droits aurait dû lui être préféré ».  En gros, le pacte de cohabitation légale, même aux effets renforcé, d’accord. Mais le mariage, non. Ce à quoi d’autres députés ont pu répondre qu’il « était important à cet égard de ne pas créer une institution propre, équivalente, mais pourvue d’une autre dénomination, qui eût été perçue comme une « institution-ghetto », brouillant singulièrement l’image du gouvernement, luttant fermement et avec détermination contre les discriminations ».

    Si les débats purent être vifs à la Chambre comme au Sénat, il est incontestable que la loi a finalement été votée, et le mariage homosexuel légalisé. Mais alors, qu’en est-il des réticences et oppositions exprimées ? L’opposition s’est-elle tout simplement tue, alors que le Conseil d’État avait tiré à boulets rouges sur le projet ?

    Un avis du Conseil d’État pour le moins surprenant

    Rappelez-vous : j’avais promis qu’on reparlerait de l’avis du Conseil d’État sur la question. Comment qualifier cet avis, sinon en employant des termes comme surprenant ? Avant d’aller plus loin, il est utile de rappeler le rôle des avis de la section de législation du Conseil d’État :

    L’avis de la section de législation est de nature exclusivement juridique et technique. Il ne s’immisce notamment pas dans les aspects politiques ou des questions d’opportunité de la réglementation soumise pour avis. (sur le site du Conseil d'État)

    Il apparaît donc clairement et explicitement que le Conseil d’État ne s’immisce pas dans les aspects politiques ou d’opportunité des textes qu’il examine. Cela signifie donc que, très clairement, le Conseil d’État pourrait émettre une objection ressemblant à « Le projet contrevient donc aux articles 10 et 11 de la Constitution« , ou encore « Par là-même, le projet empiète sur les compétences d’une entité fédérée » ; mais certainement pas des avis comme « le mariage homosexuel ne peut être accepté pour des raisons religieuses« , par exemple. Gardez cela bien à l’esprit, et lisez maintenant ces quelques extraits de l’avis en question :

    Les règles constitutionnelles de l’égalité des Belges et de la non-discrimination consacrées par les articles 10 et 11 de la Constitution n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre certaines catégories de personnes pour autant que le critère de différenciation soit susceptible de justification objective et raisonnable. L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe de l’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

    Au regard du but d’intérêt général que poursuit la législation civile, la situation d’un couple homosexuel n’est pas la même que celle d’un couple hétérosexuel.

    Mais on va plus loin encore :

    Un couple homosexuel et un couple hétérosexuel présentent des différences objectives liées à la nature des choses. En effet, seules les unions hétérosexuelles sont de nature à donner naissance à des enfants. Elles ont davantage besoin de stabilité et ont une utilité sociale différente des unions homosexuelles.

    Tiens, l’argument de « oui, mais les homos ils ne peuvent pas procréer, et c’est pourtant le but du mariage ! ». Une question me vient subitement à l’esprit : de nos jours, combien d’enfants sont nés hors-mariage ? Sans doute assez pour justifier que non, le but du mariage n’est plus la procréation. D’ailleurs, le Conseil d’État entend fonder ce rejet du mariage, notamment sur base de l’intention du législateur :

    Les travaux préparatoires du Code civil indiquent :
    «Le principal effet de l’union conjugale est de donner la vie à des enfants, c’est-à-dire à des êtres environnés de mille besoins.

    L’obligation naturelle de pourvoir à ces besoins est imposée à ceux de qui ils tiennent le jour; et c’est afin qu’elle fût plus sûrement remplie qu’a été institué le mariage.»

    Je tiens tout de même à rappeler que les travaux préparatoires en question datent de 1803. Je ne sais pas vous, mais moi, je ne trouve pas ça particulièrement étonnant qu’en 1803, le législateur n’ait pas ouvert la porte aux mariages homosexuels. Cela signifie-t-il qu’il l’ait définitivement fermée ? Je pense que non, puisque l’idée d’un mariage de personnes de même sexe n’avait même pas effleuré l’esprit des juristes de 1803.

    Au-delà de ça, et au vu de ces quelques extraits, je vous pose la question : avez-vous l’impression que le Conseil d’État « ne s’immisce notamment pas dans les aspects politiques ou des questions d’opportunité de la réglementation soumise pour avis » ?

    Un mariage, oui. Mais le reste ?

    Toujours est-il que, malgré l’opposition, malgré l’avis du Conseil d’État, la loi fut votée. Le mariage homosexuel fut instauré. Mais de manière fort timide. Jugez plutôt :

    Art. 7. L’article 170 du même Code, remplacé par la loi du 12 juillet 1931 et modifié par la loi du 1er mars 2000, est remplacé par la disposition suivante :
    « Art. 170. – Seront considérés comme valables en Belgique, quant à la forme :
    1° les mariages entre Belges ainsi qu’entre Belges et étrangers célébrés en pays étranger dans les formes usitées dans ledit pays;
    2° les mariages entre Belges ainsi qu’entre Belges et étrangers célébrés par les agents diplomatiques ou par les agents du corps consulaire à qui les fonctions d’officier de l’état civil ont été conférées. »

    Concrètement, cela signifie que le mariage homosexuel entre Belges est valable. Le mariage homosexuel entre un Belge et un étranger n’est possible que si le pays dont provient l’étranger le permet. Soyons clair : en 2003, cela permettait à un Belge d’épouser un Néerlandais. À part les Pays-Bas, aucun pays n’avait encore reconnu le droit de se marier aux homosexuels. Il faudra attendre octobre 2004 pour que cette condition disparaisse au profit d’une autre, plus légère : l’un des époux doit avoir vécu au moins trois mois sur le territoire belge.

    Mais ce n’est pas la seule chose qui me pousse à dire que le démarrage fut timide. En effet, le mariage entre homosexuels devrait avoir les effets que le mariage hétérosexuel. Et pourtant, ce ne fut pas le cas en 2003. En effet, les homosexuels se voyaient toujours :

    1. Refuser le droit d’adopter un enfant. Il faudra attendre la Loi modifiant certaines dispositions du Code civil en vue de permettre l’adoption par des personnes de même sexe du 18 mai 2006 pour que cette faculté leur soit ouverte.
    2. Appliquer un régime de filiation spécifique. Lorsque, dans un couple marié hétérosexuel, la femme donne naissance à un enfant, celui-ci est automatiquement supposé être l’enfant du conjoint. C’est la filiation. Elle est refusée aux couples homosexuels. En effet, aux termes de la loi, si un enfant venait à naître au sein d’un couple homosexuel (par insémination artificielle, par exemple), seul le parent biologique de l’enfant était reconnu par la loi. Notons que cette inégalité persiste aujourd’hui, mais que l’ouverture de l’adoption aux homosexuels permet de pallier ce problème.

    Bilan : une reconnaissance difficile

    Alors, que penser ? Je ne le ferai pas à votre place. Je vous ai fourni, je crois, suffisamment d’éléments pour que vous puissiez vous forger votre avis. Je me permettrai toutefois de rebondir sur le tweet de Jean Quatremer : certes, en Belgique, on a vu peu de manifestations contre la loi. Mais cela ne veut pas dire que la Belgique s’est lancée sans hésitation et sans discussion dans l’aventure du mariage homosexuel. Au contraire, les oppositions furent vives, à tel point que le mariage fut, dans un premier temps, tempéré, nous l’avons vu, par de nombreux freins. Il aura fallu plusieurs années à la Belgique pour accepter totalement l’idée d’une égalité presque parfaite des droits entre homosexuels et hétérosexuels.

    Un tableau encourageant, peut-être. Mais il ne faut pas oublier que tout ne s’est pas fait naturellement, et que, aujourd’hui encore, en Belgique, il reste des sceptiques.

    « DiffractionsMerci Saint-Nicolas ! »

  • Commentaires

    1
    Mardi 31 Octobre 2017 à 13:03

    Hello! This text is also clear, and it is quite easy to comprehend its meaning, as well as to interpret it. Thanks for your kind assistance! 

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