• Prologue - Prophéties

    HELKA soupira d’aise. La nuit était calme, et Isselia lui offrait toute sa beauté nocturne dans un silence absolu et reposant. Du haut du palais impérial, il jouissait d’une vue extraordinaire sur Aëmon-Thir, la capitale aux mille flèches. Une légère brise vint lui caresser le visage, se perdant dans sa chevelure blanche. Il fit quelques pas sur le balcon, s’approchant de ce magnifique paysage qui se laissait dévorer des yeux. Devant lui, la cité était calme. Seuls quelques bars semblaient opposer une résistance au silence et au sommeil qui avaient gagné l’entièreté de la capitale. De hautes murailles parées de centaines de tours blanches protégeaient la ville et ses habitants d’éventuels envahisseurs. Ces tours n’avaient plus aujourd’hui qu’une fonction décorative, et les murailles n’étaient que les témoins d’un lointain passé de guerre : voilà bien mille ans que le continent n’avait plus connu de conflit majeur. Au-dehors de la cité, des champs s’étalaient à perte de vue. Ça et là, une ferme se dressait, seule face à la lune. Au Sud-Est, défiant l’horizon, la silhouette massive des Montagnes de Micahiah envahissait le ciel étoilé. Les légendes isséliennes prétendaient qu’au sommet de ces montagnes se trouvait une grotte, qu’on appelait Source Originelle, et qui serait le lieu de naissance de la Magie. Toujours selon la légende, la Magie avait le pouvoir de prendre une forme humaine, et elle prenait alors les traits d’une jeune femme, qu’on nommait Micahiah. Chaque fois que la Magie devait communiquer avec les hommes, Micahiah apparaissait dans la Source Originelle, ce qui expliquait pourquoi les Anciens avaient donné son nom aux montagnes. La Magie, sous la forme de Micahiah, était vénérée comme une déesse aux quatre coins d’Isselia. D’ailleurs, l’édifice le plus imposant d’Aëmon-Thir n’était pas le palais impérial mais la cathédrale Aëmon, immense sanctuaire dédié au culte de Micahiah.

    Helka sourit, amusé par son intérêt soudain pour les légendes. En tant que Sage impérial, il était censé en savoir plus que quiconque sur la Magie et ses origines. Et pourtant, il ignorait totalement si la légende disait vrai. Tout ce qu’il savait, c’était que la Magie était une force extrêmement puissante et qu’elle était à l’origine de toute vie. La Magie était partout autour de lui, dans chaque homme, dans chaque oiseau, dans chaque arbre, dans chaque goutte d’eau. La Magie était l’essence même du monde, mais seuls quelques hommes avaient la capacité de s’en servir. La seule chose dont Helka était sûr, c’était que la légende contenait une part de vérité : Micahiah existait bel et bien. Il l’avait rencontrée une dizaine d’années auparavant, devenant ainsi le neuvième mortel à entrer en contact avec un dieu.

    Alors que le paysage offrait toujours plus de détails et de merveilles au vieux Sage, Helka sentit un dérèglement très léger dans la Magie. Comme si une nouvelle créature immensément puissante venait de naître. Il se retourna vivement, bien décidé à expliquer cet étrange phénomène qui n’avait plus eu lieu depuis dix ans au moins, et pénétra dans sa chambre, à la recherche de sa canne. Quand il l’eut enfin trouvée, il se dirigea droit vers la porte. A peine avait-il touché la poignée qu’il sentit un autre dérèglement dans la Magie, bien plus perceptible cette fois. Cette anomalie n’avait lieu que lorsque…

    « Bonsoir, Helka. »

    Le vieux Sage se retourna lentement, sachant parfaitement à qui il devrait faire face. Dans la chambre vide quelques secondes auparavant se tenait maintenant une magnifique jeune femme. Ses yeux étaient argentés et ses longs cheveux blonds comme le blé. Son visage était doux et serein, et elle souriait à Helka. Elle portait une robe couleur émeraude qui lui laissait les deux épaules dévêtues. Malgré son apparence douce, une aura de puissance se dégageait d’elle, comme si elle pouvait détruire le palais entier d’un simple claquement de doigts. Helka évita de croiser son regard et s’inclina.

    « Micahiah.
    - Vous l’avez senti, n’est-ce pas, Helka ? Vous avez toujours été très sensible aux flux de Magie.
    - Oui, je l’ai senti, répondit-il. Un Élu est né cette nuit.
    - Exactement. Un Élu est né cette nuit, tout comme il y a dix ans. »

    Helka grimaça à l’évocation de ce souvenir. Il y a dix ans, Micahiah était déjà venue l’avertir qu’un Élu était né. Elle lui avait demandé de le trouver et de le lui amener pour qu’elle puisse lui enseigner la forme de Magie la plus puissante qui soit. Helka avait mobilisé toute l’Armée Impériale ainsi que tous les Mages de l’Académie. Ils avaient cherché pendant six mois, sans jamais parvenir à mettre la main sur l’Élu. Helka n’avait plus revu Micahiah depuis et appréhendait le moment où la déesse réapparaîtrait. Il avait vécu dix ans sans arriver à retrouver la trace de l’Élu. Il avait vécu ces mêmes années dans la crainte d’un châtiment divin. Et voilà que cette nuit, qui s’annonçait pourtant si calme, marquait le retour de la déesse et la naissance d’un nouvel Élu. Helka se risqua à regarder Micahiah dans les yeux.

    « Nous le trouverons, lui assura-t-il. Nous n’échouerons pas comme il y a dix ans.
    - Je l’espère. Vous savez mieux que quiconque le risque que représente un Élu s’il tombe entre les mains d’un Sorcier. Alors trouvez cet enfant. Amenez-le-moi. Vite. Je ne tolèrerai pas un deuxième échec, Helka. »

    Le vieux Sage s’inclina une nouvelle fois devant la déesse. Il n’avait pas l’intention d’échouer à nouveau. Peu importait que cet Élu soit né dans la cité ou au fin fond du Désert Noir, il le trouverait et l’amènerait à la déesse. Toutefois, les paroles de Micahiah l’inquiétaient. Les Sorciers n’avaient plus donné le moindre signe de vie en Isselia depuis des siècles, alors pourquoi prenait-elle la peine de les mentionner ?

    « Micahiah. Vos paroles m’intriguent. Il n’y a plus de Sorcier en Isselia.
    - Le fléau des Hommes sera bientôt de retour. Le chaos et la violence vont renaître sur tout le continent. La guerre, Helka. La guerre se prépare.
    - La guerre ? s’étonna le Sage Impérial. Et contre quel ennemi ? Il n’y a plus de nation belliqueuse sur le continent ! Voilà mille ans qu’Hommes, Morphes et Elfes vivent en paix !
    - Le monde est vaste, Helka, et vos cartes incomplètes. De nombreuses terres s’étendent à l’Est… »

    La déesse se détourna, sortant sur le balcon. Elle admira à son tour la beauté noire d’Isselia. Après de longues minutes de silence pendant lesquelles elle avait laissé son regard vagabonder sur le pays entier, elle soupira avec nostalgie. Bientôt, les murailles seraient entretenues, les tours, réaménagées. On entraînerait les nouvelles recrues au maniement de la lance et de l’épée. Les archers tireraient sur des épouvantails. Bientôt, le calme et l’harmonie de cette belle nuit d’été seraient vaincus par la guerre. Bientôt, des cités entières brûleraient. Que les hommes étaient stupides ! Ils s’arrangeaient pour détruire tout ce que la Magie avait créé. En un dernier soupir, Micahiah se volatilisa.

    Helka n’attendit pas une seconde. S’appuyant sur sa canne, il traversa le palais aussi vite qu’il put. L’Empereur était la première personne à mettre au courant. Lorsqu’il arriva enfin devant la porte des appartements impériaux, il hésita quelques secondes. Ne ferait-il pas mieux de mobiliser l’armée lui-même ? Non. D’un strict point de vue théorique, il n’avait aucun pouvoir militaire. C’est pourquoi il frappa trois coups assurés sur l’imposante porte de hêtre. Il ne fallut pas plus de quelques secondes pour qu’un serviteur ouvre et, reconnaissant le Sage, s’incline. Sans lui prêter la moindre attention, Helka entra. Il trouva l’Empereur accoudé à son balcon, le regard perdu dans l’immensité sombre du ciel étoilé. Lorsqu’il le rejoignit, Helka ne put s’empêcher de respirer à pleins poumons l’odeur si délicate de lavande qu’un vent léger apportait des champs en contrebas. N’osant pas briser ce silence presque irréel, Helka détailla l’Empereur du regard. C’était un homme de 38 ans, grand et bien bâti. Ses cheveux, d’un noir de jais, étaient constamment en bataille et s’accordaient à merveille à son teint légèrement foncé. On pouvait lire une intelligence vive et un tempérament de feu dans ses yeux vert émeraude. Helka eut peine à réprimer un sourire en se remémorant les mille leçons qu’il avait données à l’Empereur alors que celui-ci n’était que le Prince Sven, héritier de la couronne qui, du haut de ses dix ans, était curieux de tout.

    « La lune est belle, ce soir. »

    L’Empereur Sven tourna la tête vers le Sage et le regarda en souriant. Helka lui rendit son sourire, tentant de cacher tant bien que mal son appréhension. Comment le monarque allait-il réagir à l’annonce qu’il s’apprêtait à faire ? S’il était indiscutablement un empereur bon et juste, il n’avait jamais eu à gérer une situation de guerre ou de naissance d’un Élu. Était-il vraiment prêt ? Helka secoua la tête, chassant ces questions de son esprit. Sven devait être prêt. Il n’avait pas le choix.

    « La nuit est calme, n’est-ce pas, Sven ?
    - Ta présence ici me laisse supposer le contraire, répondit l’Empereur.
    - Tu me connais trop bien ! Est-ce qu’un jour seulement j’arriverai à te surprendre ?
    - Jamais, répondit-il en un sourire. Mais quelle est donc cette nouvelle qui t’inquiète tant ?
    - Micahiah est apparue cette nuit. »

    Un lourd silence s’installa entre les deux hommes. Le sourire de Sven disparut de ses lèvres. Il se détourna du vieux Sage et enfuit son regard dans l’immensité lointaine des montagnes. La déesse était apparue. Cela ne pouvait signifier qu’une chose.

    « Un Élu ? demanda Sven en se tournant vers Helka. Un Élu est né cette nuit ? Dix ans après le précédent ? Qu’est-ce que cela signifie ?
    - Je l’ignore. Peut-être est-ce dû au fait que nous n’avons jamais trouvé l’enfant, il y a dix ans.
    - Tu crois qu’on le trouvera ? demanda l’Empereur, anxieux.
    - L’Élu ? Je l’espère, Sven. Je l’espère. »

    Les deux hommes fermèrent les yeux, profitant une dernière fois de l’air doux et de l’odeur de lavande, puis rentrèrent, sans se douter qu’il leur faudrait quatorze ans pour retrouver l’enfant.

    « Noth doit mourir.La Lune pleure »

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  • Commentaires

    1
    Wolforever
    Mercredi 22 Septembre 2010 à 00:04

    Ce prologue est superbe et j'attends avec impatience la suite de ce roman en devenir.

    2
    Tokurei-Chan
    Lundi 27 Septembre 2010 à 21:52

    Je ne regrette pas de m'être rendue sur ton blog pour y lire tes écrits

    Un prologue super avec de bonnes descriptions, un contexte assez mystérieux mais aussi très plaisant...

    J'espère avoir l'occasion de lire la suite de ce début prometteur !

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