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    Ami, je lève le camp !

    Restes-y, si tu y tiens

    Mais un conseil : sois prudent.

    Ce domaine n’est plus mien

    Je ne peux garantir ton destin !

    Morsures, piqûres, blessures

    Tu t’exposes à tout cela

    Toi et ton cœur meurtri

    Dors bien, profite de la nuit

    Et de toutes tes journées aussi

    Car bientôt, tu verras de tes yeux

    Combien ce lieu rend malheureux.

     


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    Le jour est cruel et la nuit m’en veut.

    Le premier me les offre à la vue.

    La seconde me refuse le repos.

    Le premier me tourmente.

    La seconde me harcèle.

    Le premier m’offre des visions désagréables.

    La seconde me force à les ressasser.

    Le jour est cruel et la nuit m’en veut.

     

    L’amour est cruel et mon cœur m’en veut.

    J’ai encore la faiblesse d’être amoureux.

    Je me sens si seul loin de ses yeux.

    Mais les revoir me rend malheureux.

    L’amour est cruel et mon cœur m’en veut.

     


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  •  Il n’est pas très beau à voir. Il se promène entre les tombes, une pelle sur l’épaule. Souvent, il sifflote un air morbide qui contraste avec l’entrain de son pas. Certains le disent bossu. Moi, je pense qu’il est juste voûté. Voûté par le poids des années, par le poids du monde, ou, peut-être, par celui de son métier. Son visage est constamment tordu d’une grimace de dégoût. Peut-être se dégoute-t-il lui-même. Son métier n’est pas beau, à ce qu’on dit. Et la laideur de son labeur déforme ses traits et le rend laid. Il a un œil jaunâtre, qui dégouline en permanence. Le deuxième, comme écrasé par le premier, semble inexistant ou maladivement timide : on le devine à peine. Ses deux narines, seuls éléments qui valident l’hypothèse selon laquelle il a un nez, ne sont que deux trous grossiers dans la peau fripée de son visage. Deux trous creusés au marteau et au burin. La caverne de dents rongées qui termine son visage est devenue l’antre d’un monstre rouge argenté qui se déplace régulièrement vers la commissure de ses lèvres gercées. L’effet d’ensemble de son faciès est dérangeant. Lorsqu’on le regarde, on le voit humain, mais un humain raté, un humain distordu. Tout comme son corps : boiteux, il s’avance d’une démarche handicapée, sa pelle sautillant sur son épaule au rythme de sa marche clopinante. Ses deux bras, sculptés par l’effort et par son labeur, sont puissants mais étonnamment courts. Ce sont ceux d’un loup, ce sont ceux d’un ours. Tout dans son corps malformé respire la puissance bestiale qu’on a pu apercevoir dans son immense œil.

     Et pourtant il se promène tranquillement entre les tombe, sifflotant quelque marche funèbre. Son regard hideux se pose sur une rangée de caveaux, puis sur une autre. Il s’avance, heureux, dans ce lieu de tristesse. Mais il y est habitué : il est Fossoyeur de Cœurs. C’est son métier, le plus laid du monde : il enterre les sentiments, il offre aux amours leur dernière demeure. Il les couche sans délicatesse dans leur lit creusé, il les met en terre. Souvent, avec un demi-sourire, il explique aux gens qui l’interrogent que c’est ici que paissent les cœurs. C’est ici qu’ils viennent se réfugier quand ils ont été bafoués. Il ne se voit pas comme un fossoyeur : pour lui, il est docteur. Pour lui, tous les docteurs ne manient pas le bistouri ou le stéthoscope. Le médecin qui soigne définitivement, c’est le croquemort et son acolyte le fossoyeur.

     Encore aujourd’hui, il a dû creuser une tombe. Encore un amour qui s’est échoué dans les récifs terribles de la vie. Encore un cœur mourant recueilli pour terminer sa pathétique et misérable existence. Souvent, alors qu’il creuse, Igor le fossoyeur se demande comment est né cet amour qu’il va enterrer. Comment il a vécu, comment il est mort. De qui était-ce la faute ? De lui ou d’elle ? Était-il sincère, cet amour ? Était-il vrai ? Méritait-il la mort ?

     Igor est le Fossoyeur des Cœurs. Et pourtant, nul ne comprend l’amour mieux que lui. Lui qui l’enterre.

     


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  • La nuit est noire, par la fenêtre. Un noir de mort, un noir de peine. Un noir qui absorbe toute couleur. Un noir de haine. Pourtant, sous la pâle lueur de la lune, le paysage aurait pu être beau. Des bois à perte de vue. Juste sous mes pieds, la piscine ondule sous une brise légère. Le reflet de l’astre de la nuit se trouble avant de retrouver son calme. Un paysage calme, tranquille.

    Et pourtant, mon âme n’a pas cette sérénité. Pourtant, mille canons tirent sous ma tête. Ma respiration est courte, mes mouvements secs. Emplis de violence. Ce paysage aurait pu être beau. S’il n’avait pas été le doux cimetière de notre amour.

    Il est là, blotti dans sa tombe. Il ne respire plus depuis longtemps. Pourtant, il est là, seul, abandonné. Le fossoyeur, peut-être par sadisme, n’a pas refermé le caveau. Le cadavre pourrit dans son dernier lit, à la vue de tous. Il ne sourit pas. Même de son vivant, il ne souriait pas. Notre amour, dès sa naissance, était déjà mort. Parce qu’il n’a jamais été nôtre : il n’était que mien. J’ai été le seul à oser le faire naître, à l’entretenir, à le cajoler. J’ai été le seul à nourrir sa flamme, le seul à l’aimer, à vouloir l’observer grandir. Tu t’es contentée de le toiser, un sourire aux lèvres. Tu as parfois fais mine de l’accepter et de le chérir. Tu le caressais du bout des doigts, de temps à autres. Mais jamais tu ne l’as compris. Jamais tu ne l’as apprécié à sa juste valeur. Jamais, surtout, tu ne l’as partagé.

    Alors maintenant qu’un coup fatal a été porté, maintenant qu’il a trouvé enfin le repos qu’il méritait, il gît là, au creux de sa tombe, entre les arbres. La piscine se pare du manteau scintillant du reflet des étoiles. Qui regardent en pleurant.

    Le doux cimetière de notre amour.

     


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